Illustration représentant un zombie.
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En détruisant la biodiversité, c’est la civilisation qu’on tue

Partout dans le monde, notamment en France, les mauvaises nouvelles se succèdent : les espèces sauvages sont malmenées, attaquées, empoisonnées, piégées, vendues en captivité, mitraillées, bétonnées, éliminées avec une fureur obsessionnelle.

Notre espèce ne supporte plus ce qui lui semble étranger, ce qui la gêne, ce qui lui coûte un peu d’argent, ce qui perturbe sa folle illusion du bonheur par la « croissance ». En France, les voix les plus haineuses s’élèvent pour que soient massacrés les bouquetins du Bargy, les loups un peu partout et les derniers ours dans les Pyrénées.

Des animaux qui font partie de nos rêves

Hélas, les autorités de l’État, poussées par quelques politiciens à courte vue et quelques groupes d’éleveurs ou de chasseurs braillards, autorisent ce que jamais je n’aurais cru possible : des « prélèvements », des « campagnes d’assainissement » ou des « tirs d’effarouchement » (ah ! ces litotes !) d’espèces protégées, parfois jusque dans des parcs nationaux !

Les grands animaux sont les victimes offertes de cet holocauste. Ils sont indispensables à l’équilibre des grands milieux naturels. Mais il y a peut-être plus important : ils font partie de nos rêves. Je développe cette idée dans mon essai « Éloge des mangeurs d’hommes« , qui paraît aux éditions Arthaud, et dont voici un passage.

Qui pourrait chiffrer, en euros ou en dollars, en sesterces ou en ducats, en louis ou en maravédis, le prix du plaisir que nous prenons à contempler une forêt, un éléphant, un papillon, la splendeur d’un récif de corail ?
Quelle est la valeur vénale du saut du dauphin ou du chant du rossignol ?
Combien pourrait- on négocier le spectacle de l’orque qui chasse, du requin qui rôde, du tigre qui ondule dans la savane, du lion qui secoue sa crinière, du loup qui trottine dans la neige ou de l’ours qui se dandine en attendant le saumon ?

Jaguar, loup, éléphant : des pans entiers de nos cultures

Comment chiffrer, pour l’enfant, l’importance de savoir que le loup du Petit Chaperon rouge trotte encore « pour de vrai » dans la forêt ?
Que l’aigle des Fables de La Fontaine plane toujours sur la montagne ?
Trois petits ours continuent de hanter la sapinière ?
Comment les petits Inuits accéderaient-ils à leur mythologie – à la légende de Sedna – si l’ours polaire, le narval, le requin du Groenland et le phoque venaient à manquer ?
Comment les gamins de l’Inde comprendraient-ils le Râmâyana s’il n’existait ni éléphants d’Asie, ni tigres, ni ours lippus, ni cobras à lunettes ?
Pour les petits Africains, que signifieraient les histoires racontées par le griot, sous le baobab, sans l’éléphant d’Afrique, le crocodile, la girafe, la panthère et le lion ?
Comment les enfants d’Amérique centrale pourraient-ils reconnaître, sur les pyramides aztèques ou mayas, le jaguar et le python sacrés, si ce félin et ce serpent n’existaient plus dans la jungle ?
Comment les jeunes Aborigènes australiens garderaient-ils le contact avec la culture de leur peuple et le Temps du Rêve, sans le crocodile marin, le python, le requin de récif et le dingo ?
Quant aux Maoris de Nouvelle-Zélande, ils ne sauraient même plus d’où ils viennent : leur cosmologie raconte que leurs ancêtres gagnèrent leur « île du long nuage blanc » assis sur le dos d’une baleine…

Un héritage qu’on doit laisser à nos enfants

En anéantissant les grands prédateurs, ainsi que la faune et la flore qui leur sont associées, nous ferions disparaître des créatures indispensables à l’équilibre de notre planète. Nous nous priverions d’espèces uniques et merveilleuses, que l’évolution darwinienne a forgées et perfectionnées durant des millénaires.

En anéantissant ces splendeurs qui, parfois, nous blessent ou signent notre mort, nous perdrions bien davantage. Nous nous couperions des racines mêmes de notre culture. Nous renierions une large part de notre civilisation. Nous nous séparerions de ce qui nous a fait hommes bien avant l’invention du fusil-mitrailleur, de la tronçonneuse et du bulldozer. Nous interdirions à nos enfants des spectacles de nature sublimes, mais nous les isolerions surtout de la plupart de nos récits mythologiques, de nombre de nos poèmes, de nos romans, de nos peintures, de nos films ou de nos bandes dessinées.

Yves Paccalet
philosophe écologiste

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