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Natura 2000

La France s’intègre à grand-peine dans le réseau écologique européen Natura 2000

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En pleine réserve naturelle de l’estuaire de la Seine, quelques mots griffonnés au marqueur barrent un panneau de signalisation : « Interdit aux enculés d’écolos. » Le chemin mène au cœur d’un site estampillé du label européen de protection Natura 2000. C’est une grande étendue de prairies humides, de roseaux et de vasières, refuges de choix pour les oiseaux. Mais l’espace est très convoité. Le site est cerné d’usines fumantes, et un centre d’enfouissement de déchets occupe son cœur. Des travaux d’extension du port du Havre et d’aménagement des berges de la Seine sont en cours. Dans les champs alentour, les cultures intensives gagnent du terrain sur l’herbe des prairies. Enfin, à peine visibles sous la végétation, de multiples abris de chasse affleurent à la surface du sol. Dans cet estuaire sont réunis presque tous les protagonistes de l’épineux dossier Natura 2000, lancé au début des années 1990 dans toute l’Europe. L’objectif de ce réseau est de faire coexister activités humaines et préservation de la nature, afin de ralentir le rythme vertigineux auquel disparaissent de multiples espèces animales et végétales. Avec dix ans de retard, la France achève aujourd’hui la constitution de son réseau. Elle n’a plus le choix. Excédée devant la faiblesse des propositions françaises successives, la Commission européenne, après de multiples remontrances et poursuites, a fixé une ultime date butoir. Si à la fin du mois d’avril le réseau n’est pas complet, la France risque de nouvelles poursuites et une astreinte d’au moins 130 000 euros par jour.

La consigne a donc été donnée dans les préfectures : il faut vite trouver de nouveaux sites. La moyenne européenne se situe à 20 % du territoire classé. En dépit du choix de plus de 300 nouveaux sites, la France n’atteindra pas ce chiffre, malgré la richesse de son territoire, qui devrait la placer parmi les premiers pays de l’Union. « Le réseau final est un très large compromis entre les impératifs scientifiques, socioprofessionnels et politiques, selon un des experts de la biodiversité en France. La France a fait le service minimum. »

Dès le départ, l’affaire a été mal enclenchée. Au milieu des années 1990, tandis que l’Espagne lance une campagne de recensement des espèces et des habitats présents sur son territoire, la France se contente de compiler des données historiques, sources de contestations sans fin. Les futures règles du jeu dans les zones désignées ne sont pas fixées. Industriels, agriculteurs, chasseurs, propriétaires fonciers, font barrage, relayés par les élus. Les administrations responsables des aménagements publics freinent tout autant.

Les opposants au dispositif ironisent. Que valent la sauvegarde de landes et de marais, le maintien du castor d’Europe, de l’écrevisse à pattes blanches — ou encore du loup et de l’ours brun — face au désenclavement et à la sauvegarde de l’emploi ? « On ne cessait de nous répéter : « vous voulez protéger les insectes et les oiseaux, mais nous, ce sont les hommes qui nous intéressent« , relate la direction régionale de l’environnement (Diren) de Haute-Normandie. Mais si on ne sauve pas les milieux naturels, l’espèce humaine sera en péril. »

Frédéric Malvaud, vice-président de Haute-Normandie Nature Environnement (HNNE), a conservé les versions successives du réseau dans sa région. Les sites, dont les limites sont tracées en rouge sur des cartes topographiques, rétrécissent et se morcellent au fil des ans. « Voici le tracé scientifique, voici le tracé politique », commente-t-il. Carrières, forêts privées, projets routiers, zones agricoles ont déplacé les contours de Natura 2000. Le réseau final permettra-t-il de maintenir la biodiversité ? « Une chose est de protéger les habitats, une autre est de les faire vivre, répond la Diren de Haute-Normandie. Un espace naturel a besoin d’échanges. Si autour d’eux tout disparaît, ils disparaîtront également. » Des zones plus vastes auraient garanti cette survie.

Cependant, toutes les régions n’ont pas subi le même sort. Les régions atlantiques et continentales, plus peuplées, sont celles où le réseau est le plus faible (de 1 % à 5 % du territoire pour les habitats). « Les domaines méditerranéen et alpin comptent plus de sites et leur responsabilité dans la protection de la biodiversité est plus forte », affirme Jean-Marc Michel, directeur de la nature et des paysages au ministère de l’écologie. Les pourcentages grimpent jusqu’à 16 % en Languedoc-Roussillon et 19 % en PACA.

Après le classement, une seule obligation s’impose : maintenir ou restaurer les espèces et les habitats protégés. Les Etats peuvent agir comme bon leur semble. La France a fait le pari du volontariat. Tous les acteurs concernés doivent s’accorder sur les mesures. Par exemple : diminuer l’emploi des pesticides, restaurer les haies, maintenir les feuillus en forêt… Tous les projets d’aménagement doivent être évalués et amendés si leur impact sur le milieu naturel est trop grand. En pratique, la procédure est lourde et les contraintes modérées, pour l’instant. La France devra pourtant rendre des comptes. A partir de 2007, puis tous les six ans, elle devra prouver le maintien de la biodiversité dans ses sites.

Gaëlle Dupont Le Monde | 31.01.06 |
Article paru dans l’édition du 01.02.06

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