Photographie d'un Patou et d'un troupeau de mouton à la montagne.

Au pays des brebis, du chien et du Loup

Dans le val Ferret (Valais), Olivier Sarrasin élève des chiens Montagne des Pyrénées. Il les place chez des bergers qui veulent protéger leurs moutons du loup. L’autre jour, il amenait un chiot au sein d’un troupeau.

Julien RappLa première image est saisissante. A l’intérieur de la bergerie, au milieu des 130 brebis et de leur progéniture, trois chiots paressent sur la paille, entourés par les agneaux. Aucune agressivité. Au fond, l’œil distingue même deux chiens massifs, un mâle et une femelle, qui promènent leur dégaine majestueuse entre les moutons. La grande chienne se recouche, son corps disparaît, caché par les silhouettes laineuses des ovins.

Samedi dernier. Il est un peu plus de 10 heures, dans la bergerie d’Olivier et Mireille Sarrasin, à Praz-de-Fort, au-dessus d’Orsières. Le couple élève des moutons, mais aussi des Montagne des Pyrénées, ces chiens appelés aussi Patou qui ont été popularisés par la série télévisée Belle et Sébastien. Cet animal est utilisé par les bergers pyrénéens qui le chargent de surveiller leurs troupeaux, et de les protéger contre le loup. Olivier Sarrasin est mandaté par la Confédération pour placer des Montagne auprès de propriétaires de bétail qui ont subi les attaques de prédateurs comme le loup, le renard ou l’ours, ou qui veulent s’en prémunir.

Le grand chien mâle sort renifler un promeneur qu’il a tout l’air de ranger au rayon des bêtes sans grand danger ni intérêt. Puis il revient tranquillement dans la bergerie, et rejoint sa famille «élargie».

La tolérance du cerbère

«Un chiot des Pyrénées, ça naît et ça grandit au milieu des moutons, précise Olivier Sarrasin. Ce processus est destiné à le socialiser à ces bêtes, qu’il doit effectivement considérer comme sa propre famille. Un bon chien vient au contact de l’homme, il accepte de se laisser caresser, mais il doit revenir rapidement vers le troupeau. On lui en demande beaucoup. D’avoir une grande tolérance envers les animaux qu’il côtoie jour et nuit, d’être conciliant avec les touristes, et de protéger le troupeau.»

Comme pour lui donner raison, devant une brebis querelleuse qui s’approche, un des chiots se couche en signe d’apaisement. Ce comportement soumis surprend le visiteur? Il est normal, pourtant: «Né parmi les moutons, le Montagne en est le gardien, bien sûr, mais il leur doit aussi une forme de soumission, ne doit jamais regarder un ovin en face.»

Le couple se prépare à partir livrer Aicha, une jeune femelle Patou, à un berger de la région. Pour le petit, l’adaptation s’annonce difficile. «Ici, les bêtes vivent avec des chiens depuis dix ans. Ailleurs, c’est différent. La phase de socialisation va durer au moins trois mois.» L’équilibre entre le chien, le troupeau et l’éleveur de bétail est délicat. Il faut sensibiliser l’éleveur, qui doit être prêt à s’engager. Sans quoi Olivier Sarrasin retire l’animal.

Deux heures plus tard, les Sarrasin ont gagné l’élevage de Jérôme Vannay à Murat, dans le même val Ferret, pour y intégrer Aicha. Il y a quelques mois, Jérôme a subi les attaques du loup. «12 bêtes tuées sur le coup. Après, on a mis deux jours à retrouver les animaux blessés. Ils se cachaient, terrorisés. Il a fallu en abattre encore 19, qui étaient condamnés, sans compter deux disparus.»

33 moutons perdus en une seule attaque? «Le loup est un tueur, affirme Sarrasin. Dans l’enclos, la panique des bêtes l’excite. Il se livre à un véritable massacre. Des dégâts que peut empêcher le Montagne. Sa présence décourage le prédateur. Le chien s’interpose, et si le loup est audacieux, il emportera au mieux une brebis. Sinon, il repartira bredouille.»

La petite Aicha sort de sa caisse, elle entame sa nouvelle odyssée. Baloo, un Montagne adulte déjà propriété des Vannay, vient à sa rencontre. Il facilitera son intégration. Les Sarrasin se séparent de la petite. Ils ont l’air émus. «Je suis toujours inquiet, confie Olivier. Pour le chiot. S’il n’est pas bien soigné, je le reprendrai.»

«Je me bats pour la vie»

Aujourd’hui, les éleveurs achètent des chiens à Olivier Sarrasin. Mais hier, ils le considéraient comme un pro-loup, un traître ou, pire, un écologiste. «Je ne suis pas favorable au prédateur. Aucun éleveur ne l’est. Mais la question ne se pose plus en ces termes. Il est là, il nous faut nous adapter. Et si je suis écologiste, c’est de façon concrète. Je ne suis pas un rêveur. Ces brebis et cette herbe, c’est tout ce que je possède. Je me bats pour la vie.»

Selon Olivier Sarrasin, les choses ont changé. «Avec le «Concept loup suisse» mis en place par Berne, on ne tuera plus aussi facilement le prédateur que par le passé. On veut laisser une chance à sa réintroduction dans les Alpes. Les lois s’appliquent aussi à cette vallée.» L’animal est protégé au niveau suisse, mais aussi au niveau européen. Ce qui garantit aux éleveurs une indemnisation cantonale et fédérale, explique-t-il.

Et puis, continue-t-il, le prédateur constitue peut-être une chance. Les petits éleveurs sont en voie de disparition. Non pas à cause du carnivore, mais de la dépréciation des prix, de la concentration des acheteurs. La rentabilité devient difficile. «Le loup nous offre une visibilité. Grâce à lui, on parle de nous. A nous de faire comprendre au public que nous sommes les gardiens d’un patrimoine. Nous aimons cette terre. Nous l’entretenons. Et le Montagne des Pyrénées s’intègre bien dans ce patrimoine à conserver.» Au moment de partir retrouver ses chiens, Olivier Sarrasin glisse une dernière phrase. «Si on racontait à nos ancêtres qu’en 2007 le problème, c’est le loup, ils nous diraient: «Vous êtes tarés, ou quoi?» et il éclate de rire.

Commentaires sur l’article « Au pays des brebis, du chien et du Loup »

3 réponses

  1. Ce texte est passionnant, je n’ai pas décroché du début à la fin, j’avais entendu dire que les patous étaient pris pour garder les troupeaux de moutons, mais je me demande comment un animal aussi doux peut réagir face à un loup; mais je préfère cette option aux massacres des loups par l’homme. Contente de vous retrouver  après mes vacances et merci pour votre com, la banière de votre blog est très belle amtiés

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