Photographie d'un Patou et d'un troupeau de mouton à la montagne.
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Agropastoralisme raisonnable

Jean-Paul Mandine est fils d’éleveur de moutons et petit-fils de berger. Il est né en janvier 1957 à Entraunes (Alpes-Maritimes), dans le hameau d’Estenc précisément, dernier groupe de chalets avant le col de la Cayolle, les sources du Var, les impressionnantes aiguilles de Pelens et les sommets de Roche-Grande qui culminent jusqu’à près de 3 000 m d’altitude.

Cet enfant du pays est aujourd’hui garde-moniteur du parc national du Mercantour. Et dans l’équipe des agents du secteur Haut-Var, animée par Mathilde Panneton, il est celui qui se consacre le plus intensivement au soutien des bergers.

Cet après-midi d’un jour lumineux d’automne, Jean-Paul Mandine fait sa tournée sur l’alpage de Sanguinière, situé dans une forêt domaniale de mélèzes et d’érables aux couleurs de feu, à 2 050 m d’altitude. C’est là qu’a estivé, de la fin juin à la fin septembre, un troupeau de brebis monté de la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône).

DES MESURES AGRO-ENVIRONNEMENTALES

Le garde-moniteur explique avec enthousiasme comment il met en œuvre, avec le berger de l’alpage, des mesures agro-environnementales (MAE) qui font l’objet d’un plan de gestion établi pour cinq ans : « L’objectif de cette sorte de contrat est de concilier un pastoralisme durable, rentable, et la biodiversité, c’est-à-dire la protection de la flore et de la faune sauvages. »

En échange d’aides européennes gérées par le parc national, le groupement pastoral du Val d’Entraunes (deux bergers et trois éleveurs bovins, pour environ 2 200 ovins et 80 vaches laitières) a décidé, en 2006, de s’engager dans une gestion collective – et écologique – des alpages de Sanguinière et du col des Champs (2 116 ha au total).

Depuis, Jean-Paul Mandine a constaté une amélioration encourageante de la qualité des milieux fragiles et parfois très abîmés par le surpâturage ou par le piétinement des troupeaux. L’enjeu était d’importance, le haut vallon du Var étant une des perles naturelles du Mercantour offrant une diversité d’« habitats » exceptionnelle : ruisseaux, mares, éboulis rocheux, pelouses en gradins, landes à genévriers nains, bois d’épicéas…

LES CLAIRIÈRES OÙ SE REPRODUIT LE TÉTRAS-LYRE NE SONT PÂTURÉES QU’EN AOÛT

« Les objectifs que nous nous sommes fixés avec les éleveurs, depuis le début des années 2000, ont été bien respectés » , constate l’agent du parc national. Les crêtes qui étaient érodées et surpâturées ont été soustraites aux parcours des troupeaux, les clairières où se reproduit le tétras-lyre ne sont pâturées qu’en août, les pelouses riches en nard produisent des agneaux plus charnus.

Depuis le printemps dernier, la haute vallée du Var doit aussi vivre avec sa première meute de loups, forte sans doute de cinq individus. En quelques mois, une cinquantaine de constats de dommages sur les troupeaux ont été effectués, alors qu’ils étaient épisodiques lors des années précédentes. Un troupeau a même subi plus d’une vingtaine d’attaques, tandis que ceux de Sanguinière n’en ont pas connu cette année.

Il faut dire que le secteur est riche en proies sauvages : sangliers, cerfs en quantité, chamois, bouquetins… Certes, une nuit de l’été 2011, trois brebis ont disparu. Leur berger – Sylvain – a reconnu qu’il n’avait pas parqué ses bêtes pour la nuit. Jean-Paul Mandine s’entend d’ailleurs très bien avec « ce jeune qui est très sensibilisé à la protection de l’environnement ».

UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE BERGER

Le garde-moniteur aime discuter avec la nouvelle génération de bergers. « Ils ont compris que la rotation des bêtes sur les pâturages désignés par le plan de gestion pastoral permet d’engraisser bien plus rapidement les agneaux », affirme-t-il.

À la descente de Sanguinière, Jean-Paul Mandine croise Laure, une bergère qui terminera son estive le lendemain. La jeune femme semble épuisée, et une ombre de tristesse voile ses yeux clairs. En trois semaines, elle a été victime de six attaques du loup. « Je l’ai vu deux fois », raconte-t-elle : « Il est super-rapide. Il passe sous l’alpage, en fin de journée, dans le brouillard. Il vient de me prendre une brebis pleine et ça énerve ! »

Le garde l’encourage comme il peut. Il confie son admiration pour ces femmes et ces hommes qui aiment vraiment leurs moutons.

« MES FILLES »

Il raconte comment l’un d’entre eux, Christian Toche, parle de ses brebis en disant « mes filles ». Celui-ci est un « local ». Il vit à Barrels, un hameau de Guillaumes, au cœur du parc national.

Jean-Paul Mandine cite volontiers son exemple : « Cet hiver et ce printemps, il y avait une forte présence du loup autour de chez lui, mais ce sont les faons et les biches qui en ont fait les frais. Il garde ses moutons en journée et les parque chaque nuit. Tous les soirs, il allume quatre ou cinq lampes à pétrole autour de l’enclos. En vingt ans de présence du loup dans le Mercantour, Christian n’a jamais eu un seul dégât. »

PEU DE DOMMAGES SUR LES TROUPEAUX EN VÉSUBIE

Autre explication, avance-t-il : Christian Toche « ne compte que 850 têtes environ, comme cela se pratique d’ailleurs en Italie, alors que la moyenne des autres avoisine les 2 000 brebis, un nombre qui empêche même le meilleur des bergers de protéger efficacement toutes ses bêtes ».

En Vésubie, le garde-moniteur Patrick Orméa, qui suit cinq alpages en MAE, constate que certains bergers ne connaissent pratiquement aucun dommage sur leurs troupeaux, surtout quand ils sont d’une taille raisonnable : « Ces éleveurs savent qu’ils ont tout à gagner de travailler dans un environnement construit avec nous selon un plan de pâturage. Mes relations avec eux sont amicales. Il arrive même que certains d’entre eux me confient : “Je ne le dis qu’à toi, mais j’ai vu le loup. Qu’est-ce que c’est beau cet animal !” »

La Croix

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