Photographie d'une louve grise et son louveteau.

Au Leu ! Au Leu !

AU LEU ! AU LEU !

L’an dernier, près de 200 autorisations de tuer un loup ont été accordées en France par les préfets. Ce fut le cas pour le Var, sur le plateau de Canjuers.  Le condamné se montrant plus habile que les chasseurs, un fusil équipé d’une lunette à amplification nocturne a été offert aux exterminateurs. C’est une arme de guerre destinée aux snippers, les tueurs d’élite…

« Un loup aux portes d’Aix-en-Provence » titrait le journal La Provence le 10 janvier de cette année. Le Grand méchant Loup est-il revenu ? Serez-vous les trois petits cochons obligés de vous enfermer dans votre maison ? Cela me rappelle une histoire qui se serait passée il y a près de trois siècles…

En ce temps-là, protégé par le château du seigneur François de Boyer, le hameau de Bandol était devenu un village d’une centaine d’habitants. Non seulement les marins venaient accoster sur la plage pour faire l’aygouade, le plein d’eau douce ou des réparations, mais bientôt ils embarqueraient pour Marseille les vins du Beausset. L’arrière pays avait connu les défrichements. La forêt et la garrigue battaient en retraite devant les vignes, les oliviers, les champs ou les terrasses, les restanques. Pour le plus grand malheur d’un couple de loups venu se réfugier dans une ravine du bois Maurin. Ils établirent leur lovière dans une trouée cachée entre deux rochers. Ouf ! Ils se sentaient enfin à l’abri.

C’est qu’ils avaient trotté pendant des lunes, fuyant l’ennemi de toujours, l’Homme. Les bergers leur reprochaient de préférer parfois une brebis à un chevreuil. Que celui, ici, qui ne s’est jamais régalé d’une tranche bien rose de gigot d’agneau, ou d’une côtelette grillée sur le barbecue, lève la main ! Les hommes les accusaient d’aimer la chair humaine car les loups avaient nettoyé les champs de bataille de leurs nombreux cadavres. Mais surtout, on les accusait d’être des envoyés du diable, comme les chats noirs ou les chouettes qu’on clouait sur les portes des granges. Des animaux maudits. Les paysans affirmaient que la morsure du loup est venimeuse car il mange des crapauds, que là où il passe l’herbe ne repousse pas. Ils prétendaient aussi que les souliers en peau de loup rendaient les enfants courageux, qu’une dent de loup portée à même la peau écartait les cauchemars, que l’œil du loup guérissait des fièvres. Il fallait donc les tuer ! Louis XIV, après Charlemagne et François Ier, décréta leur extermination. Avec la diminution des forêts et les Grands louvetiers, la disparition des loups était en marche…

Couchée dans sa lovière, la jeune louve entendait encore résonner les appels des hommes, les aboiements des chiens lancés à leur poursuite. Azouk ! Azouk ! criaient les bergers de la Crau. Au leu ! Au leu ! hurlaient les chasseurs. Nos deux loups, à la queue leu leu, avaient couru à travers des marais, traversé à la nage un large fleuve au fort courant. Ils avaient franchi des monts, trotté au plus profond des forêts, fuyant les plaines et les villages. Sans les encouragements de son compagnon, la femelle aurait abandonné, épuisée, car elle attendait des petits. Enfin, elle pouvait souffler, lécher les coussinets meurtris de ses pattes, reposer son gros ventre sur un lit de feuilles sèches. Un paradis des loups, ce bois !

C’est là que la jeune maman louveta, fière de ses deux louvinets pourtant bien chétifs. Elle les allaitait, le regard attendri, tandis que le père rapportait un râble de lapin ou un reste de charogne qu’il déposait devant elle. Nos loupiots étaient gloutons. Le lait maternel, puis la viande prédigérée et déglutie par le père, en firent de vigoureuses boules de poils heureuses de s’ébattre devant leur abri. Ce n’était alors que jeux, bonds, roulades et morsures entre frères.

Les petits loups ont l’avantage de ne pas aller à l’école. Pas de réveil matinal, de tables de multiplications, de dictées. Une éternelle récré ! Ils n’iraient pas plus au Collège Raimu, à l’époque un plateau rocailleux recouvert de garrigue. Mais, dès leur plus jeune âge, ils allaient connaître l’apprentissage de la vie à l’école de la nature. Gare aux erreurs, elles ne pardonnent pas !

Un jour, leur père ne revint pas rapporter les provisions de bouche pour sa petite famille. Pas plus le lendemain. Était-il tombé dans une de ces fosses à loup garnie de pieux aigus ? Ou prisonnier d’un grippe-loup, un piège aux mâchoires d’acier ? Affamés, les petits geignaient, gémissaient. Ils avaient une faim de loup. Leur mère les quitta pour aller chasser à son tour. Elle prit des risques, approcha une ferme, se saisit d’une oie. De quoi nourrir ses petits voraces.

Quand elle revint, leur abri était vide. Une odeur d’homme et de chien planait encore dans l’air. Elle ignorait qu’un gaillard malfaisant, attiré par leurs glapissements, avait saisi ses louvinets par la peau du cou et les avait emportés.  Pour faire le càcou, se vanter au village ? Ou les élever et devenir un redoutable meneur de loups, craint tel un sorcier à travers le pays ?

La malheureuse louve hurla sa douleur à la lune et battit la campagne à leur recherche. Des carrières du Val d’Aran aux remparts de la Cadière, des gorges d’Ollioules au Gros Cerveau, on la vit partout. On sonna le tocsin, on lâcha les chiens, on multiplia les pièges. En vain.

Une nuit, comme elle s’approchait d’un mas, une attirante odeur de charogne lui fit dresser le museau. Là, sur le sentier menant à la ferme, une carcasse d’agneau crevé reposait sur un lit de branchages. Elle s’avança, méfiante. La faim était la plus forte. Elle s’approcha encore, tendit le cou pour saisir sa proie… et tomba avec elle dans le piège. Un trou plus large au fond, dont les parois se rapprochaient au-dessus d’elle, l’empêchant de sauter. Elle se consola en se gavant des restes de la bête et se coucha, résignée.

Les petits des hommes ne sont pas plus sages que les louveteaux. La petite Mireille des Bordes, du haut de ses quatre ans, laissa mère-grand terminer sa sieste et s’aventura dehors. Elle voulait voir l’attrape-leu dont parlait son père à la veillée. A la lisière des bois, sur la sente au goupil, elle le découvrit. Un trou béant à l’ombre des pins. Elle se pencha, ne vit rien. S’avança encore, se pencha… et tomba à son tour.

La louve n’en revint pas. On lui jetait maintenant des enfants. Une petite qui pleurait à gros sanglots. Elle sentait le lait et le pipi, comme ses louvinets.

Quand on la retrouva, elle était blottie au creux de la louve et dormait.

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Texte publié avec l’aimable autorisation de son auteur, André Delabarre.

ATTENTION ! Le texte n’est pas libre de droit !

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