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Prions le loup…

Dans les temps anciens, les bergers devaient garder le troupeau et tout faire pour qu’il ne soit pas attaqué par le prédateur. Alors pour s’encourager, ou pour conjurer le sort, on récitait la « prière du loup » : « Autrefois, à Souesmes, les bergères récitaient la prière des loups quand elles se trouvaient loin du village » écrit Claude Seignolle [1] qui regrette cependant n’avoir pu, au cours de ses enquêtes, en retrouver le contenu.. Laisnel de la Salle cite cette prière pour le Berry, en 1875, ainsi que plusieurs autres à usage de divers problèmes : la prière du feu, la prière du tonnerre [2] .. Maurice Mairesse [3] dans son « Economie rurale de la Sologne » écrit en 1905 : « Les moutons de la contrée étaient assez rustiques pour prospérer sur ce maigre sol à condition qu’un pâtre vigilant les gardât et connût « la prière du loup » . Cette prière ne semble pas spécifiquement solognote, on peut la retrouver dans diverses régions de France : dans l’Aube où « Il n’y a presque pas de ménage où l’on ne possède la prière du loup et des chiens enragés [4]», dans le Massif Central ou encore en Franche Comté : « toute la famille rassemblée dans la cuisine récitait la prière au loup [5] » .

Daniel Bernard, dans son livre « L’homme et le loup » signale une prière solognote qui semble être de la même veine, intitulée « prière (pour) garantir les bestiaux du loup » . Ce texte manuscrit, peu aisé à décrypter, a été retrouvé dans le livre de comptes (fin XIXème siècle) de la briquetterie de Dhuizon :

«Louve et louvio, toi qui monte ses montagnes et qui les dressent, qui parcoure par ses bois par ses plaines par ses prés et ses chantiers qui cherche, tue la bête égarée, je te déffend de toucher par son nom du grand dieu vivant ainsi que la sainte étoile qui est au ciel. Mes très bêtes chevalines sous poils rouges ou noirs. Puis vous dites cinq pater et cinq ave. Vous indiquez la quantité de bestiaux que vous voulez préservé.. Mon dieu, je vous offre mes affections comme Jobe sur son fumier vous offre les siennes . Mon Dieu, j’élève mon âme à vous comme Jobe vous éleva la sienne[6] ».

Ces prières furent aussi appelées « patenôtre du loup » que le Dictionnaire de l’Académie Française (1843) définit comme « une espèce d’enchantement par lequel les bergers croyaient écarter le loup [7]» .

Une autre forme de superstition, en Sologne, voulait qu’on baptise les veaux le vendredi saint en les frappant de trois coups de baguette et en disant : A l’avenir, tu t’appelleras N… et je défends au loup de te manger. Ce à quoi l’assistance répondait « Non, non, le loup ne le mangera pas [8] »

On disait aussi, selon Paul Sébillot dans son Folklore de France (1908), que le loup « mangeait les brebis qui avaient été comptées un vendredi [9] » ..

Outre ces prières ou incantations, le loup était aussi parfois présent dans les jeux ou chansons. Du côté de Ligny le Ribault, une chanson de berger met en scène la houlette du berger et divers animaux, dont le loup :

Dans l’temps que j’étais berger
Je houlettais, je houlettais
J’ai rencontré une belette,
Elle m’a pris ma houlette
J’ai dit belette, rends moi ma houlette
Je n’te rendrai pas ta houlette
Avant que tu n’maies hurlé
J’ai été trouver le loup
J’ai dit hurles moi
Pour que j’hurle la belette
Qu’elle me rende ma houlette
Je n’t’hurlera pas
Avant qu’tu m’aies donné cuisse
J’ai été voir veau
J’ai dit veau, donnes moi cuisse
Que j’cuisse le loup
Que le loup m’hurle
Que j’hurle la belette
Je n’te donnerai pas cuisse
Avant qu’tu n’maies donné lait
J’ai été voir vache
J’ai dit vache donn’moi lait..
etc..

Aux côtés des superstitions, le culte populaire de Saint Loup, né près d’Orléans en 573 et qui fut archevêque de Sens, fut également très répandu, notamment en Sologne ou dans le Berry : « Il y a peu d’églises qui n’aient un autel en son honneur » peut-on lire en 1856 dans une publication de la Société des Sciences et Belles Lettres de Loir et Cher [10], « Si St Viâtre guérit de la fièvre, celui-ci guérit de la peur et inspire une vénération au moins égale à celle du premier . Cette croyance doit dériver aussi du nom du saint, le loup-garou étant, dans la Sologne comme dans le Berry et ailleurs la personnification du malin esprit et de ceux qui ont fait un pacte avec lui et le danger de sa rencontre pendant la nuit excitant au plus haut point la frayeur des gens du pays ». On vénérait Saint Loup à Cerdon, Monthou sur Cher, Montrieux en Sologne, Mur de Sologne, Orçay, Saint Cyr en Val, Saint Benoît sur Loire, St Loup sur Cher, St Viâtre, Sennely, Vernou, Vouzeron [11] et sans doute dans bien d’autres localités.

St Loup guérissait aussi des convulsions et avait la réputation d’être efficace contre les maux de dents des nourrissons, voire, comme à St Benoit, « contre l’épilepsie et les infidélités conjugales [12] » . Les confréries organisaient des pèlerinages à l’occasion de la Saint Loup, le premier dimanche de septembre . Celle de St Viâtre, écrit Jacques Hesse, était très prospère aux XVII et XVIII ème siècles : « On y allait « en voyage » contre les convulsions et la peur des enfants.. On s’agenouillait devant la statue ou le tableau représentant le saint. Le curé venait, mettait son étole sur la tête de la personne qui faisait le voyage et récitait un évangile. Cela coûtait cinq sous par personne [13]» . Selon Roger Gauthier, un érudit orléanais, naturaliste et folkloriste, 24 pèlerinages à l’occasion de la fête de la St Loup avaient existé – ou existaient encore – en 1950, dans le Loiret [14].

A Cernoy en Berry, la « Fontaine du bon St Loup » était l’objet d’un culte qui fut pratiqué jusqu’en 1914 : « Pour cinq sous l’on faisait dire une prière par le curé. L’on emportait, qui un bout de bois de la croix, qui une fiole d’eau de la source. Par une espèce de jeu de mot approprié, celle-ci avait en effet, la faculté de guérir de la peur. Aussi certains parents s’empressaient-ils de tremper entièrement une chemise que l’on faisait, une fois séchée, porter aux petits peureux » . Cette fontaine fut restaurée en 1983 et la statue qui avait disparu en 1880 fut remplacée en 1985. Une historiette malicieuse de Camille Delamour évoque ces pèlerinages à la Fontaine St Loup de Cernoy dont il fût également l’historien [15] (extrait) :

C’est p’tet’ pour ça qu’la p’tite rousse
Qu’avait peur du loup garou
A v’nait s’fée tremper queuqu’chouse
Dans l’chemin du Bon saint loup…

A St-Benoît-sur-Loire, la Saint-Loup donnait lieu, il y a une cinquantaine d’années, (soit vers 1900) à un concours de chants mimés et costumés : « Que les garçons se mettent des oreilles de loups, que les petites filles se déguisent en petits chaperons rouges, les jeunes filles en bergères », pouvait-on lire dans le Journal de Gien en 1946 [16].

Des statues du bon St Loup sont connues et répertoriées dans diverses localités : Ainsi, à St Viâtre, on conserve un reliquaire du Saint en bois doré (classé) et le célèbre polyptyque de St Viâtre du début du XVIème siècle qui montre sur l’un des panneaux Saint Viâtre qui « apaise les bêtes féroces et guérit les malades [17] » .

Une statue en bois polychrome (qui a été volée dans les années 70) existait dans l’église de St Loup sur Cher, ainsi qu’une fontaine dite « du bon St Loup » récemment réhabilitée. « On y guérissait les enfants peureux [18] » .

Une autre statue de bois peint est connue à Mur de Sologne. A Cour Cheverny, selon la Revue des Traditions populaires (1902) une statue de Saint Loup « accompagnée d’une tête de loup [19] » est même honorée d’un culte spécial : « parce que ce saint préserve les moutons du loup [20] » .

Une anecdote amusante à propos de cette statue de Cour Cheverny a été citée par la Revue des Traditions populaires en 1902 [21]: il paraît que l’évêque de Blois, passant par là en revenant d’une tournée de confirmation, prononça un sermon dans lequel il s’élevait contre cette superstition, et il voulut faire enlever la statue. Mais les paysans n’étaient pas de cet avis; ils s’armèrent de fourches et de fusils, et l’évêque dut s’enfuir en toute hâte dans sa voiture !

A Vouzeron, on conserve encore de nos jours la bannière de St Loup, restaurée en 2004, qui était utilisée lors des processions de la confrérie. Ces processions eurent lieu jusqu’en 1954 [22]..

Ajoutons que le culte de St Loup ne se limita pas aux frontières de la Sologne : on en trouve trace dans beaucoup de régions : A Ingré, au nord de la Loire, l’église renferme une statue en terre cuite peinte du XIXème siècle qui montre une femme qui tend son enfant au saint guérisseur. En Bretagne, dans la chapelle Ste Gildas, à Tonguedec, est conservé un bois polychrome du XVIII ème . St Loup y apparaît couronné et accompagné de son animal favori : le loup [23].

Si Saint Loup semble entretenir une relation particulière avec son homologue sauvage, d’autres saints ont eu également des liens plus ou moins étroits avec le loup, et parmi eux, St Hubert, qui, avant de devenir l’emblème des chasseurs, était censé prévenir les humains de la rage des loups ou des chiens..

En 1852 une « enquête ministérielle sur la chanson populaire » livre une version solognote d’une invocation à St Hubert ou figurent « l’an’mi » (l’ennemi), le serpent et le chien enragé ; elle se termine ainsi :

« Grand saint, fet’ moi la bonté que s’approchaint pas de moi, pas plus que de cent pieds [24] » .

Des « prières à St Hubert » ont été également recueillies par divers folkloristes. Dans « En Sologne, mœurs et coutumes » Claude Seignolle [25] nous raconte qu’une vieille femme de Cerdon n’entrait dans un bois qu’après s’être agenouillée pour réciter la prière au grand St Hubert :

« St Hubert, grand saint, trois bêtes, j’ai peur : la bête rousse , le loup enragé et le serpent qui siffle. Que ces trois bêtes là n’approchent pas de moi, pas plus que la belle étoile du ciel ». A Cerdon, Bernard Edeine [26] a recueilli une expression voisine : « Bon St Hubert, grand roi, trois bêtes j’ai peur : du serpent, du chien fou, du loup enragé ».

A Selles sur cher, une frise romane de l’église évoque les épisodes de la vie d’un autre Saint à qui l’on a prêté un rapport privilégié avec les loups : St Eusice, qui était, selon la Société Française d’Archéologie, un moine de l’abbaye de Micy St Mesmin retiré sur les bords du Cher . St Eusice avait réussi à protéger des loups le troupeau de l’abbaye et même à transformer les loups en gardiens du troupeau , se taillant ainsi une belle réputation [27]. La légende de St Eusice a été plaisamment racontée par Gérard Boutet [28] dans le Journal de la Sologne :

« Quel langage magique employa- t-il ? Mystère.. Toujours est-il que les intraitables bêtes noires s’amadouèrent aussitôt et ne touchèrent pas à un seul agneau. Depuis lors, les loups de Sologne se relayèrent pour mieux encadrer et protéger les brebis de l’abbaye et ce avec autant d’efficacité qu’aucun mouton ne disparut plus jamais ». Une version voisine est racontée dans un article de Linda Vée « Le loup, fléau de nos ancêtres » : « L’abbé ayant confié au futur saint la garde du troupeau de l’abbaye, les autres serviteurs, jaloux, tuèrent les chiens pour que les loups s’emparent des moutons. Eusice, découvrant les fauves dans la bergerie, ordonna à ces derniers de garder les troupeaux [29]».

Enfin, à Blois, une ancienne église abbatiale conserve le souvenir des reliques de St Laumer, un saint qui, d’après les récits légendaires, « savait convertir les voleurs, guérir les boiteux, déraciner les chênes à l’aide d’un simple signe de croix, et soustraire les biches à la poursuite des loups ». Ce moine errait dans sa forêt du Perche en chantant des psaumes, lorsqu’il rencontra une biche qui fuyait devant plusieurs loups. « Ce fut pour lui le symbole de l’âme chrétienne poursuivie par les démons ; il en pleura de pitié, puis se mit à crier aux loups : « Bourreaux enragés, rentrez dans vos tanières, et laissez là cette pauvre petite bête ; le Seigneur veut arracher cette proie à vos gueules ensanglantées. » Les loups s’arrêtèrent à sa voix, et rebroussèrent chemin. « Voilà bien, » dit-il à son compagnon, « comment le diable, le plus féroce des loups, court toujours en quête de quelqu’un à étrangler et a dévorer dans l’Église du Christ [30] » .


LE LOUP, AUTREFOIS, EN SOLOGNE de Jacques Baillon

Référence : 114863
Reliures : Dos carré collé
Formats : 14,8×21 cm
Pages : 241
Impression : Noir et blanc
N° ISBN : 9782954804248

Le carnivore a laissé des traces nombreuses dans les archives, dans les écrits des historiens et des chroniqueurs, dans les récits de chasse et dans la tradition orale avec des anecdotes pittoresques qui nous ont été transmises par les générations précédentes.

Pourchassé par l’Homme depuis toujours, il finit par disparaître de Sologne au début du XXème siècle, vaincu par le piégeage, l’utilisation du poison, le fusil et les battues.

Le loup autrefois en Sologne vous propose de partir à la rencontre des souvenirs laissés par le « fauve » dans cette mosaïque de paysages boisés, de cultures ou de landes qui s’enchevêtrent en Sologne et dans les terroirs voisins .

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Le Loup autrefois en Sologne (Jacques Baillon)

Extraits de « Le loup, autrefois, en Sologne » de Jacques Baillon.
Publié avec l’aimable autorisation de L’auteur

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